Chants | Matthieu Rialland | 6 septembre 2003
En ces terres arides, poussaient seulement des arbres à passion et des cailloux d’albâtre. La plaine était comme un désert sous la lumière du jour, une solitude parcourue d’ombres fugaces et de souvenirs. Des hommes avaient vécu là, en grand nombre, chevauchant des montures qui ignoraient la soif. Ils savaient où trouver les puits, les arbres morts et les tombes de leurs grands anciens. Ils allaient et venaient. Leurs troupeaux étaient aussi rêveurs qu’eux.
Restaient aussi des ruines. D’autres hommes, avant les nomades, avaient vécu sur ces terres. L’herbe alors poussait dru, et il ne faisait pas encore si chaud. Les villes étaient des jardins. On s’enrichissait alentour dans de grands champs de blé.
Il fallut cent batailles, et tout finit par s’effondrer. Tout. La terre seulement en conserva les marques.
Il fallut cent siècles, et les nomades se changèrent en pierre. Eux qui avaient croisé de lointain en lointain, sans jalons, sans bornes, ils s’étaient pétrifiés comme par un coup de lune. Des monolithes gris s’érodaient peu à peu, giflés par le sable, caressés par le vent, en longues files alignées sur le néant.
Je suis un cavalier, le dernier des nomades. Dans cette désolation marchent leurs longues files, cadavres millénaires que le sable ensevelit peu à peu. Bientôt, ils ne sembleront même plus des hommes, leurs plaies mises à nu connaîtront la putréfaction, ils s’effondreront en poussière. Tout ne sera plus que sable autour de moi. Tout ne sera plus qu’oubli.
Mais moi, je sais encore qui étaient les anciens hommes de pierre et leurs prédécesseurs. J’ai connu l’âge des cités merveilleuses, fraîches et populeuses. J’ai connu celui des seigneurs de la guerre, chevauchant sous un soleil d’airain. Je n’ai jamais perdu le souvenir.
Tout est joué, à présent. Lentement, avec une patience indicible, l’opiniâtreté de ceux qui n’ont jamais en eux-mêmes entretenu que l’espoir, nous sommes allés vers notre fin.
Puis nous avons vu notre fin. Nous avons vu notre destin à l’oeuvre. Et il n’en reste qu’un. Et je suis celui-là.
Allons, mon cheval, reprenons notre errance ! Nous avons assez paressé sous cet arbre sec. L’ombre maigre de la mémoire ne viendra pas à bout de ce soleil brûlant. Poursuivons notre marche. Sachons éloigner de nos pères de pierre les rats et les chacals. Tant qu’il en restera un…
En ces terres terribles, c’est la ténèbre seulement qui sait me rendre espoir et paix.