Chants | Matthieu Rialland | 6 novembre 2004
Viens avec moi, la fille. Montre-moi ton lit, et passons un doux moment ensemble…
Allons, te dis-je. Je te paierai ce que tu demandes, n’aie crainte.
Cela ne se fait pas, mais peut-être souhaites-tu que je te le donne ici, ton argent ? Regarde : c’est de l’or. Tu n’en as jamais vu, n’est-ce pas ? Elle est à toi, la pièce, si tu me fais du bien. Allez, viens !
Eh quoi, petite ! Je ne te plais pas ?
Oh oui, je suis laid. Très laid… Mais je suis riche, très riche. On ne peut pas avoir tous les malheurs, en une seule vie.
Est-ce que, par hasard, tu ne serais pas en train de te moquer de moi ? Tu crois que mon argent a moins de valeur que celui des autres, la fille ? Ou bien peut-être te crois-tu en position de choisir ?
Ah oui ? Tu choisis tes clients, la gueuse ?
Je ne suis pas gros, petite. Je suis seulement laid.
Tu sais, tu auras beau choisir les plus beaux et les plus jeunes pour coucher avec eux, ce ne seront jamais que des hommes qui paient pour te prendre… Et toi, tu resteras celle qu’on prend, la gueuse, pour un peu d’argent. Alors, pourquoi pas moi ? Tu seras bien payée. Et je serai doux, n’aie crainte, je serai le plus doux des hommes.
Bah ! Je crois que tu me fais de moins en moins envie.
Tu crois que tu choisis, la fille ? Mais tu l’as choisi, dis-moi, de te trouver ici ce soir à faire ce que tu fais, quand tu aurais pu être une jeune fille convenable attendant son mariage avec son amoureux ? Tu choisis quoi ? Demain, comme aujourd’hui, comme hier, tu seras là, dans cette ruelle, et tu vendras ton corps pour presque rien.
Ho ho ! Non, je reste ici si je le souhaite. Je n’ai pas fini de parler…
Reste là, jolie putain. J’ai encore des douceurs à te dire ! Et ne pleure pas, ça m’indispose. Je t’ai à peine touchée.
Tiens ! Où est-il donc, ton homme ? Oui, ton homme… Tu sais bien : celui qui baise gratis et qui dépense au café ce que tu lui gagnes en ouvrant les cuisses ? Pas là quand il faut, celui-là, on dirait…
Tu dis n’importe quoi, ma fille. Lui, il ne regardera pas ma tête avant de prendre mon argent… Et puis, l’argent achète aussi bien d’autres bonnes volontés, tu sais. Et je ne crois pas qu’il ait envie de mourir, ton homme. Des comme toi, il en trouvera autant qu’il veut, là d’où tu viens. Des qui rêvent d’amour en faisant du commerce.
Cesse de renifler, ça m’horripile. Tu veux que je t’en donne une autre ?
Eh non, ma gueuse, il est trop tard pour ça. C’est tout à l’heure, qu’il fallait accepter. Mon braquemart, j’irai le planter ailleurs…
Tu vois ce que c’est, la liberté ? C’est moi qui choisis. Celle qui prend une rouste ou celle qui m’accueille dans son lit, c’est moi qui décide. L’argent, ma fille, l’argent a ce pouvoir magique. Il achète tout. Il efface tout. Dis à ton homme que je lui donnerai une pièce d’or, pour oublier… Ou deux pièces à l’homme qui lui brisera les bras ! Il y réfléchira, je pense.
Je ne te souhaite pas une bonne soirée, petite. Juste une vie meilleure – dans une autre vie.