Celui qui danse

Chants | Matthieu Rialland | 25 juillet 2003

Je suis celui qui danse, seul sur la place, qui chante la prière de ceux-là, les pauvres hommes sans certitudes, qui des pieds bat la mesure comme battrait le pouls de la terre. Le monde est mon foyer, ses habitants mes frères. Et d’autres dansent, et d’autres chantent, et d’autres tapent du pied, partout, ailleurs.

Je suis celui qui dort, évanoui au bord du chemin, gisant dans la poussière. Celui dont nul ne troublera le repos, mais auprès duquel chacun s’arrêtera un instant, méditant sur l’impérieux besoin que nous avons de nous-mêmes.

Je suis celui qui regarde et qui hume. Celui qui se nourrit à l’aisselle des femmes, qui happe l’haleine des hommes. Celui qui croise le regard de tous, et qui baisse les yeux le premier, effrayé par tant de candeur, de bassesse. Dans les odeurs et les visions qu’offre ce monde, j’ai souvent trouvé des raisons de poursuivre ma tâche, des évidences en forme d’espoir, de devoir. Il m’est venu à l’esprit que m’incombe l’espoir de poursuivre – le devoir de survivre.

Au couchant s’amoncellent les nuages, les promesses.

Je suis celui qui croit et que tout interrompt. Tous ceux qui passent auprès de moi, après le doute ils me donnent la force d’aimer, celle finalement de les croire et de croire en eux.

Le soir venu, viendra la pluie, la tempête.

Je suis celui qui annonce tous les malheurs sans y croire, parce qu’il y a déjà survécu. Je suis menaçant et superbe dans ma colère et ridicule et sûr de rien, si évidemment que je fais peu d’adeptes. Mais tout de même on m’écoute ; il est loin, le temps où l’on me chassait à coups de pierres. Il est loin, le temps où personne n’avait plus le temps ni le courage de s’arrêter et d’écouter, tant étaient nombreux les plaisirs et les fiertés, florissants.

Quand renaît la plèbe, pouilleuse et ignorante, les prêcheurs et les charlatans accueillent bien des âmes auprès d’eux…

Ce sera pire que jadis. Tous font semblant d’avoir oublié comment sont morts leurs pères, mais le mensonge est pire que l’authentique oubli. Je le sais, j’ai voulu oublier.

Beaucoup seront noyés par le déluge. Mais il y en aura toujours, qui sortiront de la prostration, qui danseront, qui chanteront, qui taperont du pied.