Chants | Matthieu Rialland | 20 août 2003
Mille ans s'écouleront, qui seront longs comme une vie d'homme. Mais je vivrai mille fois long comme la vie d'un homme, car je veux voir demain. Peut-être marcherons-nous dans la boue obscure d'un monde sans livres, peut-être aurons-nous créé les machines infernales de notre servitude, mais je veux voir demain.
Je vois déjà demain : la mort des arbres, les crocs d'acier qui poussent à la mâchoire des hommes, les canons du néant, le vide des âmes parcourues par le vent. Demain est un pantin qui s'est pendu avec ses propres fils.
Pourtant... Dans le palais désuet de mes rêves immobiles, demain sourit à ceux qui savent recevoir.
Homme, tu te crois fort ! Méfie-toi des dragons qui dorment sous ton lit.
Dès l'instant où tu t'allongeras, ils s'éveilleront. Ils sauront que tu n'en peux plus. Ils auront entendu tes soupirs de dépit, tes malédictions, ta bassesse. Ils auront eu la patience d'attendre que tu fermes les yeux sans désir et sans peine, un soir. Et dans ton coeur glacé, ils se déchaîneront. Tu seras leur victime et leur vaillant complice. La gloire qu'ils t'offriront sera grise et fêlée, mais la gloire quand même !
Tu te seras trompé. Ils t'y auront aidé.
Je ne suis qu'un poète aux mots de peu de prix. Tout le monde peut, personne n'y songe... C'est dans ce mépris-là qu'est la mort de l'homme.
Suis-je une sentinelle ? Les loups se lèvent autour de moi - le monde est fait pour eux, pas pour moi. Mais dans ma tour de guet brille encore un soleil que ceux d'en bas ne voient pas. Il faut les tirer par l'oreille. Il faut les fouetter, leur donner à contempler leur horreur, les couvrir d'immondices... Et ils te tuent, plutôt que d'ouvrir un oeil !
Mille ans s'écouleront, pour rien peut-être : une forêt sans arbres que hanteront les loups.
Suis-je un guerrier ? Je veux le sang noir des dragons, je leur trancherai la gorge d'un coup d'espoir, je les brûlerai sur les bûchers de la fraternité. Quant aux êtres humains, je veux leurs regards peinés, je veux leurs mains douces, je veux leurs obscures croyances.
Demain pourrait avoir pour nom Réveil.