Chant du roi déchu

Chants | Matthieu Rialland | 26 août 2003

J’ai guerroyé. Les années furent longues et nombreuses, après avoir quitté les miens. Je tuai plus qu’aucun autre et me couvris de gloire. Mais la mélancolie lentement avait creusé son lit en mon coeur. Etait venu le temps de retourner chez moi.

Quand je suis entré dans ma ville, chevalier gris sur un cheval fourbu, solitaire, nul ne m’a reconnu. J’en ai conçu grande amertume.

Quand j’ai voulu entrer dans mon palais de marbre, des gardes inconnus m’en ont interdit les portes. Comment leur dire que j’étais leur seigneur, leur maître, moi, si pauvre et si peu fier d’allure ?

J’étais demeuré trop longtemps loin des yeux de mes sujets. Mais il me restait au moins le coeur des miens…

Quand je suis apparu devant mes amis les plus chers, ils ont pâli, tremblé. Ils m’ont chassé de leurs maisons étincelantes, niant comme des perdus. Ils m’ont fait plus de mal que les guerriers barbares.

Alors, au fond de ma rancoeur, c’est le désespoir qui m’a pris. Dans les tavernes et les tripots, j’ai su ma chute et l’oubli de mon nom. J’ai su que mon bouffon avait pris ma couronne et décrété ma mort. J’ai su qu’il avait sacrifié mon fils.

Alors, du fond du désespoir, c’est ma colère qui a flambé. J’ai tiré l’épée, appelé à mon secours tous mes compagnons morts. Encore, j’ai tué. J’ai pénétré comme un pillard dans ma maison, comme un preux chevalier en quête d’un mauvais coup, aveugle au sang. J’ai cassé les portes et les vases, arraché les tentures, décapité les statues de bois de la salle d’honneur et renversé mon trône. J’ai massacré, détruit comme en mes plus riches heures. J’avais la rage et la gloire pour moi.

Et je suis parvenu dans la chambre royale. Et le nabot partageait la couche de ma reine.

Ils ont cru voir surgir mon fantôme. Ils ont plié les genoux et ils m’ont supplié.

On ne tue pas les suppliants. On les relève, on les enchaîne seulement… Mais j’avais au coeur tant de honte, tant de regrets ! J’ai brisé mon épée, et des éclats d’acier ont aveuglé mes yeux. Des mains se sont posées sur moi. C’étaient celles du nain, celles de mon aimée ? Je ne sais qui m’a étranglé.