Chant du simulacre

Chants | Matthieu Rialland | 15 février 2004

Dans la brume, au-delà du dernier village, c’était le chemin de la forteresse. On n’allait pas dans ces parages, à moins d’y avoir à faire, prisonnier ou geôlier. J’étais encore très jeune, quand ils plantèrent une longue file de gibets sur la colline. Des corps fantomatiques s’y balançaient comme des pantins à un clou. J’en avais peur, et je n’étais pas le seul.

Il m’a fallu longtemps, pour avoir connaissance de mon sort. Un jour, les soupçons que j’avais se sont changés en certitudes – la vérité, je ne la savais pas, mais mon âme meurtrie me la disait.

Voilà : les pendus étaient des mannequins de paille. Le simulacre régnait en ces lieux.

Petit, j’avais rêvé qu’au-delà du brouillard nous entourait une immense forêt, royaume des loups et des grands troupeaux de rennes. J’y allai voir, un grand couteau de chasse passé dans la ceinture.

Voilà : en guise de forêt, il y avait des enfilades de collines couvertes de caillasse, sans un ruisseau, sans une prairie où s’abandonner à ses songes.

Je revins chez moi, me perdant mille fois en route. Mais le village avait disparu. On avait démonté les maisons pierre par pierre, et il n’en restait rien. Je m’assis sur une souche, pris ma tête dans mes mains et pleurai longuement. Et quand je redressai l’échine, il pleuvait.

Dans la brume de mon pays, j’ai marché longtemps et sans but. Si longtemps que le ciel a fini par se lever. Si longtemps que j’ai trouvé la forêt, au loin. Je me suis enfoncé en elle, mon couteau à la main. J’ai vu des ombres s’éclipser à mon approche. J’ai aperçu les loups en leurs domaines, qui m’ont fui comme un paria.

Voilà : les loups étaient des chiens, et je sentais le loup.

J’ai dormi entre deux racines. A mon réveil, j’étais dans la pierraille des collines et le brouillard me prenait de vitesse, empêchait ma fuite éperdue. Mais courant sus au reste du monde, j’échappai à ses lanières.

Dans un autre lointain, s’élevait un volcan. Ses flancs étaient d’un noir de suie, et sa gueule semblable à celles des geôliers de la forteresse. Elle me happa, ses dents me brûlèrent au visage.

Voilà : titubant de sommeil, j’ai renversé le brasero. Mais à présent, mes yeux me manquent pour échapper au brouillard.