Chants | Matthieu Rialland | 7 décembre 2003
Et je m’y suis perdu corps et âme, dans le rêve du dragon… Cette grotte large et profonde, ce cauchemar errant sans espoir de trouver un maître, ce damné siècle de douleurs abyssales m’a happé, s’est frayé un chemin à grands coups de mensonges, est entré en moi. Dans la douceur de mes transes douillettes, demeure à présent l’amertume, l’ombre pure et simple.
Plonge loin en ton rêve, dragon !
Plonge en ton rêve qui me tient enchaîné, et montre-moi encore ses splendeurs : ses bourreaux écarlates marqués au fer et armés de haches, ses rois aux mains coupées, mieux aveuglés que leurs sujets, ses anciens murs tombés de fraîche date, ses trésors ardents, ses bûchers, ses gibets. Montre-moi encore comment était ta mère, dragon, comment était la matriarche, la femelle formidable, l’inassouvie, l’impitoyable… Et montre-moi qui tu étais, petit, dragon.
Ton rêve te ressemble tant ! Il s’est nourri de toi. Qu’en ai-je à faire, moi, de tes oeufs, de ton souffle ?
Dans le rêve du dragon, sommeillent encore tant de feux. La braise est là, voici qu’un monstrueux archange en ranime les flammes, tandis qu’ailleurs, très loin, une autre douleur s’éteint. Je suis là pour brûler à mon tour, tout entier dans le ventre du rêve. Je brûlerai comme torche, comme phare de naufrageur. Mon sursis est cadeau du dragon qui souffre.
Voilà qu’il chante en son profond sommeil. Sa voix est celle des feux. Ses mélodies résonnent, des ténèbres vers les ténèbres. Elles passent auprès de moi. Mon être s’y frotte et s’y perd.
Dis-moi, dragon, comment m’as-tu mené ici ? Ton échine brisée, tes ailes bien trop longues… Tu ne voles plus, dragon, tu ne fais plus peur à personne. Comment m’as-tu chargé de chaînes ? Si pesant est ton rêve, si légère mon âme, comment t’y es-tu pris ? Les steppes et la toundra, les grands déserts de sable, de roc, la forêt immense, comment m’as-tu fait franchir tout cela, pour finir ?
Dis-moi, dragon, ton rêve est-il un mauvais jour, ou bien le siège de ta puissance ?