Entre hommes et dieux

Chants | Matthieu Rialland | 30 septembre 2003

C’est dans la sueur et dans le sang de la bataille qui approche, qu’on verra la valeur des hommes. Mourra celui qui n’a pas peur de mourir. Mourra celui que rien n’effraie plus que son impuissance. Mourra celui qui n’a aucune idée de son insignifiance. Mourront tous ceux qui vouent une confiance aveugle au sort des armes.

Et c’est un beau jour pour mourir.

Quel est ce chevalier paré d’or et de pourpre, qui domine sa troupe, dressé sur un cheval de feu ? Est-il de fer, d’acier ? Est-il de ces rois sans couronne, qui vivent en chemineaux, en pillards, en brigands ?

Non, celui-là ne mourra pas. Sa lance jamais ne rompra, le fil de son épée jamais ne ternira. Dans le sang de l’ennemi, il puisera sa joie. C’est ainsi qu’il nourrit les chiens de sa folie.

Il est aveugle, il est sourd, il est muet… Les noirs desseins et les rouges tourments qui lui passent par la tête sont des crocs acérés, des serres, des couperets. Vous n’avez pas idée, vous qui ne l’avez vu, ni son aura de grès, de la grandeur de ce héros, celui-là qui n’est plus qu’un errant entre hommes et dieux. Vous n’avez pas connu la haine et l’amour de lui qui s’élèvent en tumulte des rangs de ses soldats, l’effroi et la confiance qui nous font tous aussi fous que lui… Il n’est pas de ceux qui mourront. C’est à la démence, plus qu’à un poing vengeur, qu’il a confié le soin de veiller sur sa vie, elle qui se nourrit si bien de lui !

Tout au long de l’armée des gueux, dans les sabots, les fourches de bois de la piétaille haillonneuse, c’est de lui que l’on parle, avant l’assaut, avant que le temps et les armes n’aient fait leur oeuvre. Qui ne l’a encore vu, qui n’a entendu sa légende ? Quand c’est de lui qu’on parle, on devient impatient des combats à venir… L’indicible spectacle de sa folie nourrit celle que chacun tient coite au fond de lui. La force de son bras et de son destrier ravive celles des piétons épuisés.

Et que dire de ces gentilshommes qu’il côtoie, qu’il commande, qu’il inspire ? Il les honore, ils le jalousent. Ceux qui mourront n’ont rien compris, et ils n’auront fait qu’un rêve. Certains se croiront hors d’atteinte ; ils tâteront de sa morsure, de sa colère, de sa folie.

Dans les récits qui parleront de lui par-delà sa mort, on en fera un aigle, on mettra des ailes aux pieds de son cheval de guerre. De la nuit sans limite où nous serons tombés, il sera l’éclair, il sera le tonnerre, il sera ce vent furieux chargé de pluie qui dévale les collines et ravage sans frein la plaine… Déjà, il s’en trouve bien peu pour dire qu’il fut fait de chair et de sang, jadis, comme nous.

C’est une légende, un mythe aux lignes brutes, que nous avons commencé d’édifier. Dans la bataille qui approche, certains mourront et beaucoup survivront. Mais lui, lui, il ne disparaîtra jamais.