Grande mon amertume

Chants | Matthieu Rialland | 5 septembre 2004

J’ai mis la main de ma mère dans la main de mon père. Je leur ai dit : faites la paix, oubliez vos querelles. Mais ils se sont battus comme des chiens.

J’ai voyagé avec la mort. Vêtue de voiles, de brumes et de peines, la dame m’a séduit. J’ai glissé, glissé…

En tout lieu j’ai trouvé des frères. Frères d’armes, frères de lutte, frères de sang et de larmes. Mais quand c’est sur moi que se sont refermées les portes d’airain, il n’y avait plus ni amis ni camarades.

Grande est mon amertume, je ne suis plus celui que j’étais.

J’ai souvenir d’avoir eu vingt ans. Mais j’ai aussi celui de m’être assis, essoufflé, au bord d’un chemin où couraient les plus jeunes, les plus fervents que moi.

Il y eut une femme. J’avoue que j’ai voulu tromper mes propres yeux. Mais le temps, lui, voit clair et construit les murs qui nous séparent de nos rêves.

J’aurais voulu grandir sans assumer ma vie. Je me suis trompé, trompé…

Grande est mon amertume, je ne suis pas celui que je voulais être.

J’ai vu naître et sourire pour la première fois. Mais à ma grande honte, il y avait en moi quelqu’un pour dire non.

J’ai appris que la peur est un puissant destructeur. Je me suis livré à lui, livré…

Les années sont éteintes, où la vie ne savait durer qu’un jour, un seul jour. Mais je les attends encore.

Grande est mon amertume, je ne serai jamais celui qui m’inspirait.

En aucun lieu je n’ai plus de frères. Qu’ils gardent leur sang, leurs larmes, qu’ils crèvent. Il n’y avait personne quand c’est moi qui criais.

Qu’elle enlève ses nippes, la dame aux doigts glacés, et je n’aurai même pas le front de bander.

Quant aux chiens, je leur réserve les clous de mes souliers. Otez-moi la paix, il ne restera que la guerre…

Grande est mon amertume : je sais qui je suis.