Chants | Matthieu Rialland | 1er février 2004
Ils sont sortis de la mer. Ils ont surgi des flots, tout casqués et armés, au cœur de la tempête. Ils étaient la tempête.
Mon Dieu ! le massacre et le feu ont peuplé toutes mes nuits depuis lors.
Ils ont surgi des flots et se sont jetés sur nous. Quelle pire surprise peut réserver une nuit d’hiver ? Le vent soufflait, la pluie changeait les chemins en bourbiers, chacun chez soi dormait et les feux se mouraient. Nous avons pris les premiers cris pour les hurlements du vent.
Aucune nuit depuis, aucune tempête n’a plus pour moi revêtu d’autre habit que celui de la mort.
Tout casqués et armés, hommes de métal et de barbe aux yeux fous, ils ont enfoncé les portes et violé la chaleur douillette de nos foyers paisibles. Les hommes ont péri les premiers, tentant bêtement de protéger les leurs. Les fous ! ils étaient bien trop faibles.
Pourquoi n’ai-je fait comme eux ? J’ai besoin de croire que j’étais mort de peur.
Au cœur de la tempête, ils ont tué les hommes. Ils ont tué les vieux, aussi, et les femmes dont la nuit ne dissimulait pas la laideur. Quant aux autres, elles ont souffert et pleuré sous les coups de reins du barbare.
Ô mon amour, pourquoi suis-je resté allongé sur le sol, au lieu de te défendre ? Jamais je n’aurai ton pardon.
D’autres femmes sont mortes, la mienne, d’autres, parce qu’elles criaient trop, se lamentaient comme des folles. Des enfants aussi, mais peu. Les autres, ils les ont rassemblés sur la place. Ils leur ont lié les mains dans le dos, et ils les ont chassés devant eux vers la plage.
Mes enfants, me pardonnerez-vous ma faiblesse ? J’ai tout vu, tout entendu. Ma cachette était sûre, sauf contre les remords.
Ils étaient la tempête. Ils étaient la mer, la nuit. Ils furent soudain le feu, l’incendie. Et le reflet des flammes sur l’acier les rendait encore un peu plus terrifiants. Comme les barbes. Comme les yeux.
Pardon. Pardon. Pardon.
Puis ils disparurent. Le feu les submergea, les consuma, les emporta. Ils étaient le feu.
Pitié !
Toutes mes nuits. Toutes ces nuits de tempête et de feu. Toutes ces nuits de remords… Toutes mes nuits.
Ils sont sortis de la mer. Ils ont surgi des flots, tout casqués et armés, au cœur de la tempête. Ils étaient la tempête, mes remords.