Chants | Matthieu Rialland | 22 décembre 2024
Je te le dis, j'ai fait naufrage. La nuit était si noire que je désespérais de l'aube. Le jour était si sombre que je le prenais pour la nuit. Subsistaient des feux, qui brûlaient si lointains, si faibles, intermittents et froids, qu'ils ne pouvaient m'atteindre. Je te le dis, j'ai fait naufrage. Et je suis mort.
Quand je me suis réveillé, j'ai trouvé un monde tout de guingois, suintant, nauséabond, défait de sa chair jusqu'à l'os.
Je te le dis, j'ai marché. Il le fallait. C'était ça ou mourir encore. Je te le dis, j'ai marché. J'ai usé mes forces à traverser ce monde. J'ai usé mes forces à en ramasser les dépouilles. Je n'avais que l'espoir de lui redonner forme. Dans le noir de ma nuit, je sculptais des cadavres.
Quand le jour s'est levé, j'ai trouvé un champ de bataille, un charnier.
Je te le dis, je suis parti. Les corbeaux étaient trop nombreux, qui me visaient les yeux. C'était ça ou mourir toujours. Je te le dis, je suis parti. Cent fois, j'ai refusé de revenir sur mes pas. Cent fois, je me suis trompé de chemin, chaque fois revenu au bord du précipice où pourrissaient les restes de ce qui était, jadis. Cent fois, j'ai repris ma route. Désespéré.
Quand la nuit est tombée, j'ai perdu la vue.
Je te le dis, j'ai survécu. Dans la plus longue nuit, la plus froide, la plus vide, j'ai poursuivi l'espoir d'une lumière que je ne voyais pas. Je te le dis, j'ai survécu. Dans le soleil glacé d'un matin inédit, j'ai vu.
Quand le jour s'est levé, j'avais quitté mon champ de bataille.
Je te le dis, le reste du monde est gris et plat. Il lui manque tant de splendeurs que je retournerais presque au charnier. Il lui manque tant de saveurs. Il lui manque tant de chaleur. Je te le dis, le reste du monde est plat et gris. Et je n'ai pas la force d'en susciter un autre.
Quand la nuit tombe, je n'espère plus. Je ne souffre plus. Mon coeur bat le tocsin.
Je te le dis, je me souviens. Mes souvenirs chatoient et scintillent. Mes souvenirs tintent et rient. Mes souvenirs exhalent un parfum de jeunesse. Je te le dis, je me souviens. Et je pleure.
Quand le jour se lèvera, je n'aurai pas dormi. Mais si l'aurore me prenait par la main, je crois que je la suivrais. C'est d'elle que j'ai besoin.
Je te le dis, tout dépend maintenant de l'aurore.