Chants | Matthieu Rialland | 1er novembre 2004
Trois cavaliers cornus environnés de noir ont passé sur la route. Trois ombres de tonnerre qui sentaient la poudre. Trois grands lutins terribles. Trois démons surgis de mes profondeurs. Quelque part au pied de montagnes lointaines, un trou rond dans le roc avait libéré mes crapauds souterrains.
Au plus profond des bois, avec un écureuil au creux de mon épaule, je me suis caché. Et j’ai attendu.
Non loin de là, mes cavaliers passaient et repassaient sur ma route. Et leur vaine recherche empoisonnait mon sommeil.
Et ma haine assourdie commençait d’empuantir les bois…
La fourrure soyeuse de l’écureuil amoureux de moi crissait sous mes doigts. Elle disait continuellement la même phrase : si tu veux… si tu veux… si tu veux… Et je ne voulais pas. Je ne voulais rien. La cavalcade ombreuse piétinait l’écureuil et ses mots d’amour : si tu veux… si tu veux… Et j’avais honte. Ni vouloir, ni pouvoir. Ce putain d’écureuil n’était qu’un drôle de morceau de moi : si tu veux…
Les cavaliers passaient, et je hurlais dans mon sommeil. L’écureuil n’en pouvait plus, les yeux embués, bandant à me faire mal.
Ô froid mortel qui gela mon épaule ! Ô cavaliers de corne et de nuit et d’orage et de tumulte enfoui ! Ô mon sommeil ! Ô petite fourrure blême et grinçante d’une femme enfuie !
Trois cavaliers quittèrent la route, s’enfoncèrent dans les bois et mirent pied à terre au seuil de ma retraite. Je vis leurs yeux caves et leurs ongles terreux. Puis ils quittèrent le pays.
J’empêchai l’écureuil de manger un bouton de rose.
Lapin blanc, huit-reflets, lamé, satin, douce chaleur… Mes rêves ont repris des chemins de traverse. J’ai coupé la queue de l’écureuil.
Un vent de Nouvel-An défigura les bois. Un taureau sommeillait, qui refusait de naître, et j’étais sur son dos comme une croix de nacre.
Roussissait l’aurore. La corolle irisée d’un nouveau jour de moire et de veines argentines prenait dans ses filets un ciel en crue. Grisaillait la noire hébétude. J’avais mis du fil de fer dans mes yeux.