Interludes | Matthieu Rialland | 29 décembre 2024
Museler ses désirs. Négliger ses besoins. Douter de ses ambitions. Enterrer sa vocation quelque part, ce qu'on prenait pour sa vocation, le mot même est devenu trop grand, et oublier où. Ruiner sa vie, tout ce qu'on a fait dans sa vie, tout ce qu'on a essayé de faire dans sa vie, tout ce qu'on a échoué à faire dans sa vie. Se retenir de mettre le feu.
Il faut des années pour relever ces ruines-là. On y travaille en secret, dans l'appréhension d'être découvert. Personne ne doit savoir, personne ne doit comprendre. On dira qu'on n'en a plus rien à carrer. On dira que ça n'a plus d'importance. On dira qu'on n'a qu'un vague projet à nourrir, petitement, lentement, quand l'occasion se présente et sans obligation. On dira que la vie prévaut et que l'écriture n'en fait pas partie.
La frustration tue le désir, après un long combat acharné, mais elle le tue. Le monde est-il vraiment devenu si petit, si médiocre ?
Après les grandes défaites, apprendre à savourer les petites victoires. Respirer encore. Regarder. Ecouter. Braver la foule anonyme. Mettre des noms sur des visages. Eprouver. Désirer. Et puis, comme un miracle...
Découvrir une racine au milieu des gravats. Voir l'arbre qu'elle cache dans son avenir. Cette racine, c'est moi. A sa première feuille, avant même sa première fleur, je saurai que je suis sauvé.