Chants | Matthieu Rialland | 16 novembre 2003
Dans les méandres obscurs et rugissants qui forment ma mémoire, il m’arrive de croiser une lanterne sourde, un feu. C’est tout ce qui me reste de toi.
Où es-tu, ami ? Qu’as-tu fait de ta vie ?
Nous étions jeunes. Nous n’avions qu’espoir et passion. La vie était ville ouverte. Les poches vides, nous courions vite, en riant, en pleurant, en couvrant le monde de fleurs et de crachats. Nous avions du temps à revendre, et le droit d’en faire des merveilles.
Où es-tu, ami ?
Comme elles me manquent, ces merveilles… Comme ils me manquent, ces moments où nous avions le sourire des vainqueurs, avant même d’avoir combattu. Comme ils me manquent, ces moments où nos mains se joignaient, faisaient de nous des conjurés, des compagnons, des frères.
Comme il est étonnant, le trop peu de ces choses que nous avons su faire. Elles sont toujours là, les merveilles, ébauches de papier mal nourries, mal polies.
Comme ils deviennent rares, les pleurs et les sourires. Et le temps précieux, trop précieux.
Où es-tu, ami ?
Je serai vieux… J’aurai encore les poches vides. La vie sera faite de croix et de grilles. La tête dure, je marcherai sur trois pieds, en grognant, en jurant, et en couvrant le monde d’opprobre et de résignation. Je n’aurai plus le temps de rien, et l’impression de ne plus rien en faire.
Où es-tu, ami ? Qu’ai-je fait de ma vie ?
Dans le dernier recoin de ce labyrinthe, un jour, là où m’aura conduit la dernière des portes, je trouverai une torche. Peut-être. Un dernier feu, qui me laissera croire qu’il fut un temps, un lieu, où quelqu’un m’appelait ami et m’écoutait parler. C’est tout ce qui restera de moi.