Interludes | François Michel | 19 décembre 2007
Dans le camion de Tonton Jules, il y a : un personnage Playmobil, un pistolet en plastique qui fait du bruit et de la lumière quand on appuie sur la gâchette et un Carambar. Ça, c’est quand le petit Durand, Gérard, m’embêtait tout le temps à l’école avec les gros cadeaux qu’il avait reçus pour Noël ou pour son anniversaire. Ce jour-là, il a eu la peur de sa vie, le môme, enfermé pendant trois heures dans le fourgon, dans le noir. Il ne m’a plus jamais embêté, après ça. Sans doute aussi parce que j’ai changé d’école.
Dans le camion de Tonton Jules, il y a : une bague fantaisie en plastique, un chouchou rouge et quelques mêches de cheveux blonds. Ça, c’est quand Valérie, cette jolie fille qui était dans ma classe en quatrième, s’amusait beaucoup à me confier qu’elle en pinçait pour moi puis à dire le contraire à ses copines, ou m’invitait pour un slow avant d’aller embrasser avec la langue mon meilleur copain. Elle était blonde, et très fière de sa longue chevelure bouclée. Mais après quelques coups de ciseaux, elle n’avait plus vraiment de raison d’en être fière. Au moins, elle a cessé de jouer avec mes sentiments. Et dans mon nouveau collège, il y avait des tas de filles plus sympas qu’elle.
Dans le camion de Tonton Jules, il y a : une petite bouteille de boisson isotonique à l’orange, un coupe-vent en plastique qui fait la réclame d’une marque de chaussures de sport et des lunettes de soleil en plastique cassées. Ça, c’est quand j’ai failli devenir champion du Nord-Pas-de-Calais du marathon. En fait, je suis bien devenu champion : j’ai gagné la course. Mais tout le monde a trouvé bizarre que le favori, un gars qui me mettait au moins quinze minutes dans la vue à chaque sortie, soit absent. Il faut dire qu’au même moment, il était avec Tonton Jules, dans le camion. Il n’a plus recouru avant la saison suivante. Et c’est comme ça que je suis passé au bowling, écoeuré par ma disqualification. C’est aussi comme ça que Tonton est retourné en prison.
Dans le camion de Tonton Jules, il y a : un téléphone portable dernière génération et son kit mains-libres, une carte de visite portant le logo d’une société dont je tairai le nom et une chaussure de grande marque, pointure 46. Ça, c’est quand on m’a viré comme un malpropre, alors que je méritais une promotion et une belle augmentation. Je ne pouvais pas savoir que Tonton Jules avait pris sur lui d’en convaincre mon patron. La seule chose qui me console, c’est que je me suis offert de longues et agréables vacances aux frais de la princesse.
Dans le camion de Tonton Jules, il y a : le sac à main et le trousseau de clés de ma femme. Ça, c’est tout récent. Ça date de la semaine dernière, quand on se disputait tout le temps à propos de l’endroit où on va louer l’été prochain. Personne ne l’a vue depuis dix jours. Aucune nouvelle. Cette fois, j’ai bien peur que Tonton soit allé trop loin…