Chants | Matthieu Rialland | 7 mars 2004
Si je savais seulement où ce chariot m’emmène ! Ses chevaux sont d’argile, son cocher monstrueux prend dans ses quatre mains les miennes et les rênes. Où allons-nous ainsi ?
Cette route est semblable à celle qui s’enroule dans ma tête. Traversant la forêt immense, des ombres nous regardent, cachées derrière les arbres. Des fourrés montent des cris de douleur, des clameurs rouges. Le galop fou de nos chevaux changés en cuivre effraie gnomes et loups. Sur ce char je m’en vais vers ma mort, vers ma nouvelle vie. Le rire dément du cocher résonne contre les troncs, nous revient changé en flèches. Il se joue des cahots ; je me joue des peines des hommes.
Je suis devenu grand ; cela m’a tant coûté ! J’ai trahi la tribu, couché avec toutes les femmes, défié et vaincu tous mes frères. Ils me haïssaient, tous, et je voulais qu’ils m’aiment.
Et je savais déjà qu’ils ne pardonnent rien à celui qui les caresse. Mon erreur fut de les caresser tous – il faut soigneusement garder des ennemis, et des étrangers. Les amis sont si rares, si rares…
Ce chariot m’emmène au bout du bout du monde.
Tout à l’heure, des hommes se lèveront sur le bord de la route. Magnifiques dévots, innombrables, armés d’épées, de masses d’armes, ils surgiront des fossés. Et ils m’acclameront, longuement, comme un vent venu de loin qui charrie des masses de nuages. Et je les croirai. Mais ils n’auront d’yeux et de crainte qu’envers ce cocher maléfique… Ce roi souriant.
Mais un jour le cocher me laissera tout seul, abandonnant son char et ses chevaux de pierre. Et il s’en ira, ailleurs, avec mes armées. Et je resterai seul. Seul.
A quoi cela sert-il ? Je sauterai bientôt à bas de ce chariot. Ni armées, ni acclamations. Ces mots qui sortent de ma bouche, ils seront des cris de douleur. Toutes ces armées qui ne sont pas les miennes, je les laisse à ceux qui les mènent. Ce monde, ce pauvre monde ne vaut pas d’être conquis par la force.