Chants | Matthieu Rialland | 22 août 2004
Les loups avaient senti qu’approchait la tempête. Ils se terrèrent au fond des bois, ils rejoignirent les ours, dans des trous tout contre la terre. Le Capitaine des Vents était venu chasser dans le royaume du Nord…
Il n’y eut qu’une troupe d’hommes, et leurs chevaux, et leurs grands chiens féroces, pour rester immobiles sur la plaine, pour recevoir la parole du puissant seigneur. L’effroi se voyait dans leurs yeux, ils grelottaient, leurs bêtes étaient nerveuses et cherchaient à s’enfuir, mais ils avaient la foi.
La colère du Capitaine des Vents emporta tout, mais ces hommes restèrent debout dans la bourrasque. Et ils virent le visage de ce grand prince. Et ils tombèrent fous.
Depuis lors, ils chevauchent dans les pays nordiques, lâchant leurs chiens sur ceux qui ne se prosternent pas. Ils tuent, violent et ravagent. Ils sont devenus les instruments de ce prince sans royaume, ils servent la colère de celui-là, et seulement cela. Ils sont devenus les chevaliers terribles de sa foi. Ils tiennent tout autant de la glace que de l’homme.
Longtemps, ils ont erré sans but dans la plaine, évitant la forêt et les loups. Mais est venu un jour où ils ont su…
Ils ont su qu’en la forteresse d’Hibernia, Porte du Septentrion, des hommes doux et bons révèrent la puissance unique et définitive de Léviathan, seul et unique dieu dans l’univers. Ils ont su. Ils sont entrés dans une rage sans nom. Et c’est ici qu’ils s’en viennent à présent !
Demain, ils seront là. Ils donneront l’assaut… Bien des justes mourront, des hommes doux et bons, des pères, des époux, des fils, des chevaliers du droit, fidèles de la vraie foi. Ils mourront par centaines, et peut-être serai-je tué moi aussi… Mais jamais Hibernia ne tombera aux mains de ces barbares. Mieux vaudrait la brûler.
Et dans le crépuscule, au soir de la bataille, Léviathan descendra sur la terre. Il imposera le silence. Le Capitaine des Vents s’enfuira au loin, hurlant d’effroi. Ses serviteurs sanguinaires seront comme des petits enfants, leurs chevaux les désarçonneront, leurs chiens rompront leurs chaînes et s’en iront rejoindre les loups, et nous leur fracasserons le crâne sans qu’ils fassent rien pour se défendre.
Ainsi triomphera Léviathan, car nulle chose, fût-ce la tempête, ne peut vaincre la vie. Et nous, hommes, tâcherons de ne pas l’oublier…