Ma vie est ailleurs

Chants | Matthieu Rialland | 6 avril 2006

Ma vie est ailleurs, de pierre et de cuivre, droite sous le ciel, élancée, lancée…

Ma vie est ailleurs. Bossage. Bobine. Flèche d’une fontaine érigée sur des vasques rondes comme des seins. Aiguille au dé d’or. Fils emmêlés. Pavé. Ma vie est ailleurs.

Je conte les prodiges.

Je compte les prodiges accomplis sous le ciel, en nombre et qualité. Je donne un titre. Je sais des histoires aux yeux glauques, des mélancolies aux lys fangeux soupirant dans l’eau noire. Je sais les cent récits de la sorcière, du bouc et du déserteur. Je suis les maux de la princesse aux cheveux tachés de houille, les ombres pesant sur l’épaule du joker. Je suis et je serai la chair des illusions, la viande exclue du rêve, la semence répandue sur la terre, le ventre déchiré par son aridité.

Je donne des conseils embués – qui sans cesse inondent ma propre croix.

La flèche pourrissante de ma vie de poème crucifie dans les foins un rhume impitoyable. L’abondance de mots est un luxe que je puis m’offrir. Mais bientôt viendra l’hiver : ma vie en exil, ma main gelée, ma langue collée à mon palais.

Ma vie est ailleurs. Hardies les mouches, qui me viendront sucer la couenne au milieu du jour…

Les îles du refuge qui abritent et cajolent ne verront pas de nouveau-né, pas d’alliance. Car j’ai repris la mer, et dans mes pas s’engouffre un vent de bon aloi… Murmure et gesticule : « Hardie, la mouche ! Les hommes sont des gueux… »

Ma vie est ailleurs, pisse l’encre de Chine et s’essuie dans les draps d’un vieux loup solitaire.

Je conte et me dirige où cela fait moins mal. Mes avirons me font des bras d’honneur. Et me gifle la voile, et me gifle le vent, et se tend vers le ciel une main à un doigt.

Il pleut dans l’arrosoir. La fontaine de cuivre, de pierre, n’a plus que des seins. Vaste est ma vie, ailleurs, mais je n’ai pas encore entrepris de la trouver.