Peuple des plaines

Chants | Matthieu Rialland | 9 septembre 2003

Nous voyagions à la surface du monde. Nous avions aux pieds les bottes de cuir de nos ancêtres, et nous changions souvent les fers de nos chevaux. Les roues cerclées de nos chariots laissaient dans la terre des saisons une longue ornière, longue comme une génération. Nous étions le peuple des plaines, et nous poussions devant nous de gras troupeaux de bêtes à cornes. Des enfants naissaient sur la route, des enfants de nulle part, comme nous tous.

Mais quand avec la nuit nous allumions nos feux, les peuples de la terre et du ciel ouvraient les bras et nous accueillaient parmi eux. Nous retrouvions tous nos ancêtres réunis, les vivants au regard aveugle et les morts dont les os étaient éparpillés tout au long de la longue route. Les jeunes se taisaient, les vieux parlaient. Et là se disaient des paroles qui n’avaient pas ailleurs de place…

La mort est le bout du chemin. Nous, peuple des plaines, sommes vivants, car nous marchons. Et nous marcherons tant que nous vivrons. Et nous vivrons, car le moment n’est pas encore venu, ce jour où le cercle des chariots ne se défera pas avec le matin, ce jour où nous leur ôterons les roues et en ferons les maisons d’un nouveau peuple sans chemin. Le temps du repos est lointain encore, nous ne sommes pas encore morts.

… et dans la nuit paisible s’élevaient les chants qu’avaient poli nos pères en chaque jour de leur voyage. Et nos visages étaient sereins et recueillis. Et nous avions une longue route à faire, le lendemain.

Quand le soleil se relevait, nous avions peu dormi. Nous étions fatigués d’avoir tant chanté et dansé. Mais nous n’avions point de faille au coeur, notre esprit était clair, et les anciens nous guidaient vers un nouveau crépuscule, infiniment.