Tant de choses

Interludes | François Michel | 1er mai 2009

La fille danse.
Elle a les yeux bleus et de longs cheveux bruns, qui ondulent et lui caressent les épaules.
Je la regarde et j’ai mal.
J’aimerais tant lui caresser les épaules.
Ses seins bougent sous son chemisier blanc.
J’aimerais bien les caresser aussi.
J’aimerais faire tant de choses que je ne peux plus faire.
J’en ai fait tellement peu que j’en ai les larmes aux yeux.

La fille danse et traverse le terrain vague, puis revient.
Elle passe et repasse.
Devant moi.
Elle sait que je ne peux plus rien lui faire.
Elle croit qu’elle n’a plus rien à craindre.
Je la regarde et j’ai mal.
J’aimerais lui dire d’aller danser ailleurs.
J’aimerais dire tant de choses que je ne dirai plus jamais.
Je ne me souviens plus de mes dernières paroles.

La fille s’arrête en face de moi.
Elle me regarde et sourit.
Elle a un regard de fer, ou bien d’une insondable bêtise.
Elle sait qu’elle peut me faire du mal.
Elle croit qu’elle peut venger tout ce qu’on lui a fait, tout ce qu’on lui fera.
J’aimerais m’en aller.
Je veux rentrer chez moi.
Mais j’ai besoin d’elle pour ça.

La fille déboutonne son chemisier blanc.
Elle me regarde mais ne sourit plus.
Il y a dans son regard des abîmes tranchants.
Elle sait qu’elle va me faire du mal.
Elle croit que je suis un adversaire à sa taille, à sa main.
Je veux rentrer chez moi.
Je veux qu’elle prenne sa paie et qu’elle s’en aille.
J’ai besoin d’une plus grande solitude encore.

La fille enlève son chemisier.
Elle s’approche et le pose sur mes genoux.
Elle me regarde, tout près, et balance ses seins sous mes yeux.
Il y a tellement peu dans son regard que j’aurais peur pour elle.
Tellement peu que la méchanceté de l’instant le recouvre.
Je me demande si elle va enlever son soutien-gorge blanc.
Je peux toujours me demander ce que je veux, quand je veux.
Mais je ne pourrais pas le lui demander.

La fille se redresse et remet son vêtement.
Elle me tourne le dos et ma peine s’éponge à sa brusque pudeur.
Elle a cessé de jouer.
Il y a tant de jeux auxquels elle pourrait jouer, pourtant.
Aucun auquel je puisse, moi.
Il y a tant d’endroits où elle pourrait aller, plutôt qu’un terrain vague.
Aucun dont j’aie envie, moi.
Il y a tant de force et de vie, là-bas.
Il en reste si peu, ici.

La fille regarde ailleurs et reprend son air maussade.
Puis elle passe derrière moi.
Je roule.
Délivrance.