Chants | Matthieu Rialland | 6 janvier 2005
Le temps était si long qu’il semblait immobile. Il manquait un sourire à ma bouche et une pensée souriante à mon âme. Encore eût-il fallu une cible à ce sourire…
Tu es venue. Le monde n’est plus le même, non plus que le temps.
J’avais des souvenirs, des regrets, des remords. Elle, j’avais le souvenir de lui avoir souri, et j’en pleurais de rage. Courbez un dos trop droit, vous lui briserez l’échine. Mes sourires de jadis étaient plus grands que moi, et je n’en trouvais d’autres qui soient assez petits pour que je les ramasse.
Tu es venue. J’ai mis une attelle à mon dos, et fait quelques grimaces.
J’avais devant les yeux une vitre brisée. Il y a de la glace dans le cœur de celui qui n’a pas réussi à s’allier le monde. J’étais en guerre, et j’avais trouvé à combattre pire que des moulins, pire que des montagnes. Je voulais triompher d’un univers entier, et je savais l’issue de ma sacrée bataille. Mais il n’y avait personne pour m’avouer vaincu, ni pour signer la paix.
Tu es venue. J’ai changé de fenêtre et enterré mon sabre. Je crois que j’ai même oublié où.
Dans mon bunker, j’avais rassemblé les fils épars de mon existence. Je les tenais serrés, n’ayant qu’à tirer dessus pour me faire mal. J’aimais beaucoup tirer dessus.
Tu es venue. Curieusement, quand c’est toi qui tires sur ma vie, cela ne me fait plus mal.
Le temps était si long… Mais le cortège des ans passait sous mes fenêtres en un flot de débâcle. Il manquait un barrage à ma fuite, et la pensée d’une résistance à mes désirs. Encore eût-il fallu que je me sache en fuite.
Tu es venue. Le temps n’est plus le même, et le monde est mien. Mes regrets, mes remords, je les ai enterrés sans en marquer la place. Et mes sourires d’antan sont plus petits que moi.
Tu es venue. Regarde mon dos droit, regarde mes mains bienveillantes, regarde quel beau sourire j’ai fait de mes anciennes grimaces…
Tu es venue. Si je m’achète un sabre, tu guideras ma main.
Tu es venue. Tu empoignes si bien les fils de ma vie !
Tu es venue.