Interludes | Matthieu Rialland | 12 janvier 2025
Un beau jour, tu rentres chez toi. Pas si beau, il faut avouer, vu les circonstances, mais c'est bien ça : tu pénètres dans la ville et, en regardant autour de toi, tu te dis que tu es de retour.
Putain, ça fait du bien.
En vingt ans, tu es repassé trois ou quatre fois, pas plus. Peut-être que ça te faisait trop mal, de penser que tu avais tourné la page pour toujours. Peut-être que ça te filait la bile, de ne plus rien comprendre aux sens uniques et aux rues disparues sous les pavés du tramway. Peut-être que tu avais des regrets, au fond.
Et ce jour-là, le premier jour, tu viens sans voiture et tu marches. Tu marches et tu lèves les yeux. Tu regardes autour de toi. Tu l'inhale, la ville. Tu la bois. Tu la manges, comme un mort de faim.
Elle est là pour toi, rien que pour toi.
Les autres gens, autour, on verra plus tard. Ce que tu cherches, c'est les pierres. Celles qui sont encore à leur place, qui n'ont pas bougé. Celles qui t'attendaient.
Septembre. Il fait beau et, sous le soleil, tes souvenirs sont accrochés à tous les coins de rue.
Ici, tu as eu un appart pendant dix mois, un bouiboui sombre et froid qui logeait ton mal de vivre et ta solitude. Vingt ans après, on a presque de l'affection pour son ancien mal de vivre, son ancienne solitude. Ils ne font pas aussi mal que les nouvelles versions.
Là, tu allais boire un café pendant que tes fringues tournaient dans une machine à la laverie automatique. Le restau a changé d'enseigne, mais il ressemble assez à ce qu'il était pour que tu te croies en terrain de connaissance.
Ici encore, tu regardais passer le défilé de la Mi-Carême, sur le balcon de ton oncle, et les chars remontaient toute la rue pour passer devant Decré et rejoindre la cathédrale. Maintenant, ils appellent ça le carnaval et personne ne voit de quel grand magasin tu parles. Mais la cathédrale est encore là, ouf.
Et puis, là-bas, c'est l'entrée de la cour où tu as passé le plus clair de ton temps avant de partir. Dans les bras d'une drôle de fée. Tu as voulu garder la fée, mais tu y as perdu ta ville.
Et puis tu as fini par perdre aussi la fée.
Mais tu es de retour. Maintenant, tu es là. Ça va aller.