Chants | Matthieu Rialland | 25 janvier 2004
As-tu pris soin des ruines de tes illusions ? Ces lambeaux chatoyants, ces fragments de lumière, les as-tu enfermés dans un coffret d’argent ? Te reste-t-il au moins le désir de les contempler, une dernière fois ?
Je me souviens. Tu n’es plus le même, mais la source est la même. L’homme descend de l’enfant, le dépouille de ses rêves et de ses ambitions, lui apprend à compter, à se taire, à détourner les yeux, à n’écouter que la rumeur. Mais il reste des traces.
Je me souviens. Tu étais un enfant, fait de rires et de pleurs. Tu avais de grands yeux avides – et gourmands. Le monde était objet de jeux, et tes rêves comblaient les vides.
Je me souviens. Moi-même, j’ai perdu mon enfance.
As-tu pris soin des ruines ? Pas de cadavre, ami, juste un fantôme, qui vient et revient rôder autour d’un coffret d’argent. Qui montre son visage, un instant, puis disparaît dans un souffle. Tu le détestes ?
Je me souviens. J’ai perdu mon enfance, mais pas le souvenir de mes rires, de mes pleurs.
Je me souviens. La source est cachée, à jamais perdue, mais l’essence des rêves sourd de toutes mes jointures, de toutes mes fissures. L’essence de mes rêves corrompt le réalité de ce monde. Mes rêves sont inextinguibles.
Je me souviens. Mais je suis incapable de les appeler par leur nom.
Ai-je pris soin des ruines ? N’aurais-je pas ouvert le coffret, par un jour de grand vent, par un jour de colère ? Me reste-t-il au moins quelque chose à regarder, une dernière fois ?
Je me souviens. Par un jour de colère, j’ai tout dispersé dans la mer. Par mélancolie, aussi. Par désir de m’enfuir.
Je me souviens. Le feu et la lumière se sont changés en cendres.
Je me souviens de quoi ? Le fantôme lui-même a cessé ses visites. Me reste un coffret vide dont je ne sais quoi faire. Loin les ruines de mes illusions, loin mes illusions.
Je me souviens de cendres et de poussière.