Chants | Matthieu Rialland | 29 août 2004
De petites victoires en petites défaites, de petits abandons en petits coups de sang, j’ai fait ma vie petite et bien rangée, bien dans le fil du temps, bien assez bonne pour ne point trop en souffrir avant qu’il ne soit trop tard.
Mais à présent, il est trop tard. Une petite vie s’achève. Un petit homme se meurt.
Il est trop tard pour y changer grand chose. Les hommes sont ainsi, quand viennent leurs dernières heures, ils craignent de les raccourcir encore par quelque geste, quelque parole inconsidérés. Contentons-nous de vivre au mieux, disent-ils, en attendant la tombe et l’inscription dorée dans la pierre. Contentons-nous encore de nous souvenir des jours où les choix furent faits, disons-nous, qui auraient pu être tout autres.
Il est trop tard. La petite vie d’un petit homme s’achève.
Il est trop tard pour y changer grand chose. J’en ai pris mon parti. Avec mes derniers jours sont venus résignation, lassitude et abandon. J’ai vécu comme j’ai vécu. Je ne regrette rien. Et ce que je regrette, vous n’en saurez rien. Mes plaies sont miennes, mes douleurs ne parlent qu’à moi, mes déceptions n’ont jamais ému ceux qui les contemplaient de loin. Vous n’en saurez rien, je ne les ai pas portées si longtemps pour m’effondrer ainsi et vous les donner en spectacle.
Il est trop tard. Le petit homme à la petite vie se meurt.
Il est trop tard pour y changer grand chose. Ni vivats ni horions ne peuvent plus m’atteindre, ni rires ni larmes m’émouvoir. Je suis dur et sec. Je ne suis plus très solide, mais l’essentiel est qu’ils le croient. Ils croient beaucoup de choses, d’ailleurs, beaucoup de choses qu’ils ne savent pas. Les petites victoires, les petites défaites, ils croient y échapper, ils croient pouvoir s’en défaire. Ils sont jeunes. Ils ont leurs illusions pour eux, qui leur servent de morale, sans doute. Le fil du temps ne les a pas encore rattrapés.
Il est trop tard. Un petit homme s’achève.
Il est trop tard pour devenir quelqu’un d’autre. Contentons-nous de ce que nous sommes.